193 : regard vs écoute

Je n'ai rien écrit sur la musique depuis bientôt un an : comme ça a dû vous manquer !

L'expérience de l'image couplée à la musique amène à se poser des questions sur la complémentarité ou l'antinomie de ces deux stimuli sensoriels dans le domaine de l'art.

Dmitri Kourliandski [1], compositeur russe né en 1976, proposait une création audiovisuelle : "Objets impossibles" en deux parties.
Les sons produits par l'orchestre génèrent en temps réel, par l'intermédiaire d'un programme informatique sûrement très sophistiqué, la transformation d'"objets visuels" géométriques projetés sur un écran . Sur le plan musical la première partie est plutôt grinçante, la deuxième plutôt liquide.
Le résultat est assez amusant pendant les deux premières minutes, mais la répétition de ces images en mouvement, toujours à peu près les mêmes, incapables de se renouveler au fur et à mesure du déroulement de l'œuvre devient rapidement lassante.
Alors on essaie de s'abstraire des images pour s'intéresser à la musique mais les éclats de lumière projetés ne facilitent pas la concentration nécessaire à une bonne écoute, d'autant que les musiciens restent dans l'ombre.
La musique que l'on perçoit semble également ne pas vouloir évoluer.
On se demande alors quel est l'intérêt d'un tel couplage. Pourquoi vouloir imposer à l'auditeur des images toutes faites qui l'empêchent de goûter la musique et lui interdisent de créer ses propres images mentales ?
L'auditeur actif devient de facto un spectateur passif et l'œuvre se réduit à un gadget aussi passionnant qu'un interminable interlude télévisé ...

On peut remarquer a contrario que Xenakis dans ses Polytopes de la fin des années 60 ou Disney en 1940 avec Fantasia avaient créé des "objets audiovisuels" autrement plus intéressants !

Le concert ne se limitait pas, et c'est heureux, à cette expérience. Trois autres œuvres étaient données, toutes trois de haut niveau.

Wolfgang Rihm [2], allemand de 58 ans est un compositeur particulièrement prolifique.
"Gejagte Form"créé en 1996 et profondément remanié en 2003 est écrit pour un orchestre d'une vingtaine de musiciens.
De rythme très rapide, haché, cela débute par un quatuor de deux flûtes et deux clarinettes accompagnées de la harpe. Progressivement les autres instruments et les trois percussions entrent en jeu, l'ampleur orchestrale s'accentue, le rythme restant toujours d'une implacable rapidité. L'œuvre est assez ambitieuse malgré la petitesse de l'orchestre et on a souvent l'impression d'un ensemble beaucoup plus volumineux jouant une musique d'un style mécaniste frisant parfois le "réalisme soviétique". En l'occurrence, cette appréciation n'a rien de péjoratif bien au contraire. On progresse ainsi sans relâche jusqu'à un très beau final.

On avait déjà entendu Hugues Dufourt [3] avec un certain plaisir [c'roch'note 14].
Compositeur de la mouvance spectrale, Dufourt a écrit plusieurs œuvres inspirées par des tableaux dont "Les chasseurs dans la neige d'après Bruegel", tableau dont Alain Korkos a fait récemment une des intéressantes études dont il est coutumier [4].


Cette pièce pour orchestre est très réussie, mêlant impressionnisme et spectralisme avec une goutte de répétitif. Les sonorités sont belles, les timbres subtils et on n'a pas de mal à se sentir engourdi par le froid puis réchauffé par le feu de bois et les jeux populaires tels que Bruegel nous les fait voir.

Le concert se terminait par la dernière création de Bruno Mantovani [5], compositeur déjà évoqué à plusieurs reprises [c'roch'note 55 et 145].
Ce "Concerto de chambre n°1" (il y en aura donc d'autres !) réunis 17 musiciens. Cette œuvre est typique de Mantovani : écriture luxuriante, habileté époustouflante dans l'orchestration, séduction immédiate et sans réserve : c'est magnifique.
Mais toujours les mêmes interrogations sur ce compositeur : tout cela n'est-il pas un peu gratuit ? où Mantovani veut-il nous emporter ? réussira t-il un jour à trouver l'étincelle du génie ? On attend avec impatience la création de son premier opéra au printemps prochain ...

Tout ce concert était donné par l'Ensemble Intercontemporain [6] dirigé par Mantovani lui-même : direction d'allure assez boulézienne quoique un peu plus nonchalante !

Ce concert peut être regardé sur citedelamusiquelive.tv [7]

Réf.:

[1] : http://www.kourl.ru/biografia.html
[2] : http://brahms.ircam.fr/composers/composer/2726/
[3] : http://brahms.ircam.fr/composers/composer/1167/
[4] : http://laboiteaimages.blog.lemonde.fr/2010/11/04/les-chasseurs-dans-la-neige/
[5] : http://brahms.ircam.fr/composers/composer/2167/
[6] : http://www.ensembleinter.com/www/fr/index.php
[7] : http://www.citedelamusiquelive.tv/Concert/0951661.html

2 commentaires:

cat a dit…

Margaritas...

Pacolem a dit…

"Objets impossibles"
Je ne connais pas...mais entièrement d'accord sur tes commentaires.
En revanche j'étais enthousiasmé par "Fantasia". Une adéquation idéale entre musique et son évocation graphique, quoique inégale.
5/20 pour "Le casse noisette" et18/20 pour "le sacre du printemps", que je ne peut entendre sans en évoquer les images de Disney !