198 : violences

On a beau le voir pour la troisième fois au concert, on a beau l'avoir écouté des dizaines de fois au disque, le choc et l'émotion que procure "Le Sacre du Printemps" sont toujours aussi forts même à nos oreilles pourtant habituées à la musique excessive et/ou hors norme.
Le chef-d'œuvre le plus célèbre d'Igor Stravinski créé le 29 mai 1913 est aussi le plus célèbre et le plus emblématique du XXème siècle.

C'est un lieu commun de dire que l'impression produite par le Sacre est bien plus violente au concert qu'au disque. Même la meilleure installation hifi ne peut reproduire l'incroyable puissance sonore de cette partition pour grand orchestre et la pulsation tellurique qui fait résonner notre organisme, ni mettre autant en valeur la finesse des timbres des divers instruments solistes dans les nombreux passages doux et tendres.
On est à chaque fois profondément remué et on peut aisément comprendre le scandale que fut la création de cette œuvre : comment des oreilles bercées depuis des lustres par Fauré, Chabrier, Saint-Saens ou D'Indy pouvaient-elles accepter une telle monstruosité !
Et il faut imaginer cette musique illustrée par la chorégraphie de Nijinsky, aussi scandaleuse que l'était la musique aux yeux de ses contemporains !

L'orchestre comptait ce soir une majorité d'étudiants du conservatoire de Paris : ces musiciens dont la moyenne d'âge ne devait pas dépasser 23 ans se sont montrés à la hauteur. Même si le puriste peut critiquer certaines attaques un peu incertaines, des cuivres un peu anémiques, et un manque de précision dans la répartition des différents plans sonores, l'enthousiasme juvénile des interprètes compensait largement ces petits défauts.
Et l'enthousiasme de la salle n'en parlons pas : elle était pleine d'étudiants du conservatoire venus soutenir leurs copains, c'est dire le délire d'applaudissement et de cris qui conclut le concert !

Ce Sacre n'en était que la deuxième partie.

Avant l'entracte nous avons entendu l'"Octuor pour instruments à vent" du même compositeur, tableau d'ambiance populaire et colorée à la Chagall mais qui ne laisse pas d'impression durable.

Et une œuvre d'Enno Poppe qui mérite qu'on s'y attarde un peu.

Enno Poppe est né en Allemagne en 1969. On l'avait découvert il y a quelques mois sur France Musique avec "Interzone". Une œuvre trop longue notamment à cause des intermèdes purement littéraires (lecture de nouvelles de Burroughs) mais musicalement très intéressante.

Ce soir, l'orchestre nous donnait "Markt" composé en 2009. Cette œuvre est en trois parties bien différentes l'une de l'autre.
La première est tellement courte (1'30") qu'on se demande si on a vraiment entendu quelque chose ! On ne peut en tout cas rien en dire ...
La deuxième, plus longue, nous a paru assez soporifique.

La troisième partie, beaucoup plus importante est, elle, formidable et pourrait sans regret être isolée de ce qui l'a précédé.
Le rythme de fond en est lent et calme marqué par un ensemble de percussions diverses d'une tonalité très douces. Une petite phrase mélodique fait son apparition, jouée et répétée successivement par différents groupes d'instruments ou par certains instruments solistes, petite phrase à chaque fois légèrement modifiée, changeante ou déformée, reprise ensuite par les ensembles de cordes. La qualité, la variété et la richesse des timbres, la lenteur du rythme, la finesse des percussions forment un tout vraiment superbe et de grande classe.
La puissance de l'orchestre, d'abord faible, s'intensifie petit à petit, le rythme lui-même restant imperturbablement calme et lent : ceci produit un contraste de plus en plus étonnant entre l'intensité et le rythme. On atteint ainsi très progressivement un paroxysme sonore d'une violence extrême puis tout va s'atténuer jusqu'au silence final.

Cette troisième partie vraiment impressionnante me fait un peu penser sur le plan de l'originalité des timbres à la musique de Beate Furer, découverte récente dont il faudra que je vous parle un jour.

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