146 : de briques et de toc

C'est une petite maisonnette toute simple, un de ces petits pavillons de banlieue sans prétention comme il y en a tant dans ces quartiers. Ce pourrait être celui de Félicie.
Flanquée d'une traditionnelle meulière à droite et d'une maison "d'architecte" de bon goût à gauche, elle ne paye pas de mine.
En briques noircies par les ans, elle est d'une symétrie toute classique. Une courte volée de marches mène au minuscule perron qui précède la porte d'entrée. Une fenêtre de chaque côté : on imagine le tout petit salon à droite, la toute petite salle à manger à gauche. Un étage, une sous-pente plutôt, recouvert d'un toit prolétarien en tuiles mécaniques assez moches percé de deux vasistas ombrés de toiles d'araignées.

Depuis quelques mois la bicoque est en travaux.
La grille qui la sépare de la rue a été enlevée et la façade, décapée, laisse apparaître cette brique ancienne d'un bel ocre chaleureux, ornée de quelques inserts de briques calcinées et de quelques discrètes frises de briques rosées. Pouvait-on imaginer que la crasse accumulée par les ans pût cacher une si jolie figure ? La cure de rajeunissement s'annonce comme une réussite, la triste vieillarde se transforme en une belle jeune fille au teint de pêche dont je commence à tomber amoureux !

Entre-temps elle a changé de coiffure. Son toit a été légèrement surélevé, les mauvaises tuiles remplacées par une couverture en tôles de zinc à la parisienne d'un assez bel effet et les vasistas ont été remplacés par deux petites fenêtres mansardées. Cette nouvelle coiffure, qui surprend au début, lui va en fait très bien, lui donnant un air un peu chic. Si ça lui fait plaisir après tout, pourquoi pas !

Mais notre jeune fille s'enhardit et ose un déhanchement qui me laisse plus dubitatif. Elle a décidé de latéraliser son accès. La fenêtre de droite est transformée en porte. La porte d'entrée centrale devient une fenêtre. L'ancien escalier et son perron sont détruits. Un nouvel escalier plus grand et plus large se monte devant la nouvelle entrée.
Holà la belle ! N'as-tu pas l'impression d'en faire un peu trop ? Tu me plaisais mieux dans ta simple symétrie mais bon, ton joli minois est encore craquant !
Une question me taraude cependant. La moitié inférieure de l'ancienne entrée centrale ayant été obstruée par un muret de parpaings, elle ne peut rester en l'état. Comment vas-tu faire disparaître cette verrue indigne de ta beauté juvénile ?

Les semaines passent. Plus rien ne bouge, la belle est en train de se faire retaper l'intérieur.
Et tous les matins, en passant devant elle, je la regarde, me reposant la même question : la verrue ... que vas-tu faire ? As-tu un bon chirurgien esthétique ?

...

Jusqu'à ce jour sinistre où je te retrouve recouverte de la tête aux pieds d'un emplâtre jaunâtre, épais, vulgaire, hideux, qui paraît déjà sale. Jolie maisonnette de briques devenue monstrueuse escarre, ensevelie sous cet ignoble maquillage qui la transforme en l'une de ces habitations de série que l'on voit pousser par dizaine à la périphérie des villages de lointaine banlieue ...

Consternation.
La brique n'est-elle pas un matériau noble et digne de respect ? Comme le bois, elle accompagne l'humanité depuis l'aube des civilisations. Elle est toujours utilisée dans des architectures autrement plus audacieuses que toi, pauvre petite fille de banlieue ! Ne t'es-tu pas rendu compte de la chance que tu avais d'être ainsi construite ?


Mais je t'accuse à tort, tu ne fais que subir ton triste sort, je le sais bien. Simple jouet dans les mains d'incultes prétentieux et sans âme, tes larmes sauront d'ici peu percer cet enduit infamant ...



12 commentaires:

Juliette a dit…

ça me rappelle un certain château, non?

As-tu pensé au plaisir de celui qui grattera l'emplâtre et dévoilera ce trésor oublié?

cat a dit…

Hélas ,Juliette on ne sera plus là pour voir la réapparition de la brique...ah c'était quand même mieux avant!!

roch a dit…

ah oui Juliette j'y ai pensé et l'avais même écrit, puis effacé pour ne pas alourdir mon texte ! ... mais la prochaine étape dans 30 ou 50 ans sera la démolition et le remplacement par un de ces petits immeubles de luxe qu'on voit se multiplier depuis plusieurs années ... peut-être aura t'il un parement en briques de synthèse !

Anonyme a dit…

et ma façade (classée) du 67 bd berthier?

Clo a dit…

La brique évoque à mon avis le monde ouvrier, et globalement, les gens veulent que leur maison crie au monde entier « regardez-moi, les gens qui m'habitent sont riches ! ». Donc on efface la brique et on affiche un crépis couleur pêche pour, à défaut d'avoir l'air riche, ne pas avoir l'air plus pauvre que le voisin… Ça me désole autant que toi !
Sophie et Steve en savent quelque chose, eux qui achètent une maison en pierre à moitié recouverte de crépis !

Juliette a dit…

Je ne suis pas si pessimiste que vous !

Il suffit de regarder Toulouse : il y a trente ans tout le monde recouvrait la fameuse « brique rose », sans doute effectivement trop connotée prolo. Aujourd’hui, les propriétaires s’acharnent à retirer la moindre couche de peinture (même originale, ce qui aboutit parfois à des absurdités) pour mettre à nue toute la brique, devenue symbole de la ville par un habile subterfuge de marketing urbain.

En revanche, les vieux marchés couverts en fer forgé de la ville, rageusement rasés dans les années 60 pour bétonner à la place des monuments à la gloire de l’automobile, ne pourront pas, eux, être récupérés.

Il suffirait que les maires de banlieue parisienne fassent des campagnes pour promouvoir la brique comme symbole identitaire pour qu’elle (re)trouve ses lettres de noblesse.

Et pensez aussi à la fugacité du lino et de la moquette, impuissants face à l’endurance du parquet et de la céramique, et vous verrez que l’avenir du maó n’est pas si noir que ça !

roch a dit…

ici, la brique est symbole identitaire pour les cités-jardins, quartier bien défini géographiquement et architecturalement ; pour ce qui est des pavillons, ils sont probablement trop dispersés et disparates pour qu'une municipalité s'y interesse (ce n'est pas comme le "village anglais")
avenir du mao ???

Anonyme a dit…

Je suis éblouie des talents si diversifiés de Roch et je lui dit toutes mes félicitations et ma fierté.
Charlotte.

roch a dit…

Charlotte, vos compliments me vont droit au cœur !

G Pâ a dit…

Avec un peu de retard, j'apporte ma pierre à ces échanges sur la brique !
On trouve en France deux sortes de briques : La brique du sud, de couleur rouge-orangé, comme à Toulouse et Albi qui est gaie et chaleureuse et puis la brique du nord, celle des corons, des sucreries et des "châteaux" des grandes familles industrielles, couleur rouge-violacé ou lie-de-vin; qui est lugubre et évoque la misère sous la pluie.
Heureusement, la brique utilisée dans l'habitat contemporain est plutôt de l'espèce rouge-orangé.
Vers les années 36/37,suite à un pari avec des copains, j'ai escaladé la façade du bâtiment en briques décalées, de mon école du bd. ST. Germain, pour me retrouver au deuxième étage, dans...le bureau du directeur.
Cela s'est très mal terminé...

G Pâ a dit…

Erratum: c'était en 1945.

roch a dit…

GP => pas d'accord avec le "lugubre" de la brique du Nord : il suffit de se promener dans les villages de Belgique pour constater que cette brique est tout sauf triste et qu'il existe un grand nombre de très belles maisons ! Et les fermes ou églises de Normandie en brique "du nord" sont magnifiques.