144 : des magyars

La Hongrie reste un petit pays mal connu de la plupart des français, étrange par sa langue qui n'est affiliée à aucune langue connue [1] sinon à certains dialectes des peuples nomades des confins de la Sibérie. Cela ne l'empêche pas d'avoir donné à la musique occidentale quelques-uns de ses plus grands compositeurs. On pense tout de suite évidemment à Liszt, Bartók, et Kodály.
Ce pays a donné aussi trois compositeurs contemporains majeurs : Ligeti, Kürtág et Eötvös dont, si vous me lisez régulièrement, les noms ne vous sont pas inconnus ...
Ces trois là étaient réunis pour un concert, avec un quatrième, bien plus jeune.

Commençons par ce dernier.
Márton Illés est né en 75 à Budapest, et a été l'élève, entre autres, de Ligeti, Kurtág et Lachenmann. "Torso III" a été écrit en 2007. C'est une pièce d'une dizaine de minutes pour ensemble d'une vingtaine de musiciens. Ça démarre déchaîné, haché, certaines tonalités sont proches de Ligeti, mais un Ligeti sous amphétamines ! Puis ça se calme tout d'un coup avant de se réchauffer à nouveau, le piano devenant hystérique. À nouveau le calme, quelques notes éparses, on croit que ça se termine mais ça redémarre comme une forge avant un nouveau silence prolongé, quelques notes, et c'est vraiment fini. Dans l'ensemble, c'est assez plaisant, on ne s'ennuie pas. Mais difficile de se faire une idée sur ce compositeur à la seule écoute de cette courte pièce.

Les trois autres "hongrois" sont en réalité ... roumains, tous les trois nés en Transylvanie, le pays de Vlad Dracul à la sinistre mémoire [2] ! Mais tous trois, très jeunes, se sont installés en Hongrie où ils ont fait toutes leurs études musicales. Ils ont toujours revendiqué cet héritage magyar.

Peter Eötvös [3], est né en 1944. On le connaît d'autant mieux qu'il est également chef d'orchestre et qu'on l'a souvent entendu diriger ses œuvres [4].
"Séquences du vent" commence tout doux avec les sons d'une flûte japonisante rythmés par une grosse caisse assourdie, beau paysage de brumes apaisantes, vision d'estampe à l'encre de chine. Les parties suivantes deviennent plus impétueuses avec l'entrée de plusieurs instruments à vent, cuivres et bois, de la contrebasse et des roulements de la grosse caisse. L'œuvre va par la suite, de façon un peu systématique, faire alterner calme et ouragan. Le tout est un peu long jusqu'à la partie finale qui réveille à nouveau notre intérêt.

György Kurtág [5] né en 1926 est de la génération précédente, celle de Ligeti. Ce compositeur m'a toujours laissé une impression magnifique. Et comme il était là ce soir là, nous avons pu l'applaudir chaleureusement.
Rappelez-vous "Scènes d'un roman" et "Messages de feu Mlle Troussova" [6] : "Quatre caprices" pour soprano et ensemble est de la même veine : orchestration riche et subtile à laquelle se mêle de façon idéale la voix de la chanteuse. Le texte est totalement abscons mais, étant en hongrois ce n'est pas très gênant, c'est comme des onomatopées !

La mort de György Ligeti à 83 ans en 2006 a laissé un grand vide dans la vie musicale contemporaine [7]. Son œuvre abondante, qu'on ne se lasse pas d'écouter, restera celle d'un des plus grands compositeurs du XXème siècle.
Son "Concerto pour violon", créé en 1992 sous la direction d'Eötvös, est en cinq mouvements. Le premier très complexe dans ses alliages de timbres et de rythmes, le second dominé par une belle mélodie toute simple extraite de son étonnante "Musica Ricercata" pour piano. Ce thème est progressivement déformé, "faussé" en timbre et hauteur par l'orchestre, en particulier par les ocarinas, instruments fétiches de Ligeti, dont la "justesse" n'est pas conforme à nos habitudes ... mais c'est ce qui en fait le charme et l'étrangeté.
Le troisième mouvement très énergique et très bref précède une partie où orgue électronique, violon et orchestre dialoguent.
Le final reprend la complexité du premier mouvement, la mélodie du second réapparaît par instants, méconnaissable, et les dernières notes sont, comme souvent chez Ligeti, une simple ponctuation, ici un beau point d'exclamation. On est bien loin des cadences finales interminables des siècles précédents !


[la fameuse mélodie ... dans une interprétation médiocre]

C'est en sortant de ce genre de concert qu'on se pose à nouveau la question : qu'est-ce qui différencie un bon compositeur d'un génie ? Est-ce seulement subjectif ? Mais quels peuvent en être les critères objectifs sinon quelques détails de partition hors de portée de notre compréhension ?

Pourtant, ce soir là, c'était absolument évident : Kurtág est un compositeur exceptionnel, Eötvös un auteur très intéressant et très sympathique, Illés un débutant. Mais Ligeti, lui, est un génie.

Réf :
[1] : http://aleph2at.free.fr/index.html?http://aleph2at.free.fr/langues/hongrois/general.htm
[2] : http://www.maroumanie.com/Politique/dracula.php
[3] : http://brahms.ircam.fr/composers/composer/1230/
[4] : http://crochnotes.blogspot.com/2007/02/14-temptes.html
[5] : http://brahms.ircam.fr/composers/composer/1957/
[6] : http://crochnotes.blogspot.com/2008/04/79-haka-et-sepukku.html
[7] : http://www.resmusica.com/actu_presse/article.php3?id_article=151

2 commentaires:

Clo a dit…

[j'aime]

Mais je ne sais pas quoi dire…

pacolem a dit…

Je pourrais sans doute apprécier si les hauts-parleurs de mon mac ne distillaient pas des bruits de casseroles remuées !...
Hélas !