123 : excentration, concentration

Pour notre dernier concert de cette saison, l'EIC donnait "Trois Manifestes", une création du colombien Luis Fernando Rizo-Salom né en 1971, installé en France depuis une dizaine d'années. Grand orchestre, spatialisation et électronique résument cette pièce.
Il y avait longtemps que nous n'avions pas assisté à un concert ainsi mis en espace. Au centre : piano, célesta, harpe, trio à corde, instruments à vent de registre grave, percussion au fond. Dans les tribunes à gauche : violons, vents et percussions ; à droite violoncelles et contrebasse, vents, marimba.
Alors bien sûr ça sort de partout, ça vole dans tous les sens, mais ça n'en fait pas pour autant une œuvre mémorable : trop décousue, sans liant, sans vue d'ensemble, malgré plusieurs passages réussis notamment le final.
Et une fois de plus, la question qui devient obsessionnelle : à quoi sert donc l'électronique ? Un peu de réverbération, de distorsion, de résonance qui surchargent et compliquent inutilement le message musical. Ces effets de maquillage excessif pourraient être aussi bien produits par les instruments traditionnels que tout simplement supprimés.
C'est comme du Liszt : ça serait tellement mieux s'il en faisait moins !

Après l'entracte : "Passagio" de Luciano Berio. Cette œuvre date du début des années soixante, époque où beaucoup de compositeurs italiens marxistes et athées étaient politiquement très engagés et musicalement très "avant-gardistes" (notamment Luigi Nono ou Luigi Dallapiccola ... qui ont été pour la musique ce que Pasolini a été pour le cinéma).

J'ai trouvé cet oratorio, opéra en miniature, assez bouleversant ... Bien sûr le texte signé Edoardo Sanguineti peut paraître abscon, le traitement des voix difficile à supporter (cris, chuchotements, vocalises excessives, hurlements, éclats, pleurs) mais comment pourrait-on traduire autrement l'humiliation, la souffrance et l'angoisse d'une contestataire soumise à la torture physique et psychologique des tenants d'un ordre social fascisant ? Les interventions des nombreux chœurs disséminés dans la salle, jouant le rôle d'une foule haineuse et conformiste ou d'une bande d'accusateurs publics impitoyables, apportent une tension éprouvante et la partie instrumentale est, comme toujours chez Berio, magnifique, parfaitement structurée, évidente en un mot, servie de plus par d'excellents interprètes (en soliste : Julia Hening qu'on avait déjà eu l'occasion d'admirer).
On ne peut pas rester à la surface de cette musique ou il vaut mieux ne pas tenter l'expérience. Mais lorsque l'on réussi à y pénétrer, à se laisser emporter et submerger sans résistance, les larmes ne tardent pas à vous perler aux yeux et une compassion angoissante vous étreint la gorge ...
N'est ce pas le but recherché ?

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Est ce que tu prends des notes pendant tes concerts?

roch a dit…

anonyme (?) : oui, ça m'arrive mais pas toujours. Et en l'occurence, là, non !

Anonyme a dit…

Excuse la rudesse ragondine, responsable de cette omission de présentation! Ne gâches tu pas ton plaisir en adoptant une écoute trop analytique? Je crois bien que je serais incapable d'un tel résumé post concert.

Anonyme a dit…

analytique, oui, mais pas "trop", je ne suis pas musicologue !
c'est comme lire une BD : ça peut se faire en 10 mn si on la lit en survolant les images. Mais si on s'attarde sur chacune pour en apprécier la composition, les couleurs, les détails, et si le dessinateur a une vraie personnalité, le plaisir n'est pas gâché, il est multiplié !

roch a dit…

ce coup là, l'anonyme, c'est le c'roch'noteur !
... au fait, la rudesse ragondine n'est-elle pas l'excès de calva ? ;-)

Anonyme a dit…

Oh que non! Car sa rudesse n'a d'égal que sa sobriété! Mais malheureusement, la mémoire des codes lui fait défaut! Merci pour toutes ces précisions!