118 : anatomie descriptive / crumb

Elle tourne le dos au public, penchée au dessus de la table d'harmonie du piano à queue grand ouvert.
Elle chante.
De simples vocalises au début, elle entame ensuite le poème et son chant prend une étrange coloration en faisant entrer en résonnance les cordes du piano:

« El niño busca su voz (la tenía el rey de los grillos) ... »

Le pianiste accompagne son chant en pinçant par moment les cordes de son instrument et dans le lointain, hors scène, en écho, le chant d'un enfant.

Une mélopée de hautbois interrompt brutalement cette introduction. Quelques cris discrets, quelques percussions douces, un tambourin, quelques notes de harpe doublées du son grêle et orientalisant d'un piano-jouet, deux galets qui s'entrechoquent. Le sentiment d'étrangeté s'accentue.
Une scie musicale fait maintenant entendre son chant plaintif accompagné d'une touche de harpe, pianissimo. Elle murmure :

« Me he perdido muchas veces por el mar
[...]
como me pierdo en el corazón de algunos niños »

La voix de la chanteuse s'élève à nouveau en vocalises dans les entrailles du piano, puis :

« ¿ De donde vienes, amor, mi niño ?
de la cresta del duro frío ... »

Et tandis que le chant du poème se poursuit, après un coup de gong, les tambours entament un rythme de bolero, sur deux puis trois tonalités différentes. Le texte est maintenant plus déclamé que chanté et l'intensité de la voix et des percussions s'accentue peu à peu, le hautbois intervient à nouveau jusqu'au fortissimo :

« ... ¿ cuando, mi niño, vas a venir ? ... »

après lequel les percussion vont progressivement s'éloigner tandis que cette troisième partie s'achève.

Triste complainte :

« Todas las tardes en Granada,
todas las tardes se muere un niño »

soulignée d'une note profonde et continue et de quelques mesures de Bach frappées sur le piano-jouet.
Silence.

Quelques frottements de percussions, quelques pincements de mandoline, quelques onomatopées sourdes et gutturales puis plusieurs coups de cloches alternant avec les gongs, la mélopée du hautbois réapparaît.
Le chant revient, plus pur, plus simple, la harpe l'accompagne :

« Se ha llenado de luces
mi corazón de seda ... »

Douceur et mélancolie, des cloches dans le lointain puis plus présentes, le chant s'intensifie, percussions et piano rythment le texte :

« Y yo me iré muy lejos
[...]
cerca de las estrellas ... »

doublé par la voix de l'enfant, avant de s'éteindre :

« ... mi alma antiguo de niños. »

Puis le silence ...

Ce texte réunis plusieurs poèmes ou chansons de Federico García Lorca (voir ici le texte entier) et a été magnifiquement mis en musique par Georges Crumb en 1970.
Cette œuvre est si originale et si étrange que, dix ans après l'avoir écoutée en concert, elle laisse encore un goût de regrets et une impression de tristesse, comme après un voyage irréel, ou un merveilleux rêve impossible à retrouver.

8 commentaires:

Clot a dit…

Ça donne envie de l'écouter, tu l'as à disposition ?

roch a dit…

oui, j'ai le disque ... qui nécessite une écoute dans le silence et le calme, texte en mains, pour en saisir toute la subtilité ;)

juliette a dit…

m'inviteras-tu à un concert aussi alléchant lors de ma venue à Paris ?

cat a dit…

Oui mais quand reviendras tu , dis oh moins le sais tu , que tout le temps qui passe ne se rattrape plus...

Anonyme a dit…

et en cd, ça existe aussi ? parce-que moi j'ai plus de pus de "tourne-disques"...
Flo33.

Anonyme a dit…

et en cd, ça existe aussi ? parce-que moi j'ai plus de "tourne-disques"...

roch a dit…

Flo33 : il existe au moins 4 versions en CD. Je ne connais que celle de l'ensemble New Art chez Sony mais je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure. Je ne connais pas les autres.

roch a dit…

correction : ce n'est pas 4 versions, mais 4 interprétations !